Chère lectrice, cher lecteur,
La loi Duplomb défraie la chronique, et pourtant, il y a 10 ou 20 ans, elle serait passée comme une lettre à la poste.
Il s’agit d’une loi sur l’agriculture, qui comporte, entre autres, 3 dispositions qui ont suscité un tollé dans l’opinion publique :
- la réintroduction de l’acétamipride, un insecticide interdit depuis 2020 en France, de la classe des néonicotinoïdes, qui ont fait drastiquement chuter la population d’abeilles en France ;
- la facilitation de créer des élevages intensifs – comme « la ferme des mille vaches » ;
- et une même facilitation administrative pour construire des méga bassines, que les militants écologistes perçoivent comme une accaparation de l’eau qui, de ressource commune, serait privatisée.
La loi a été votée, mais elle a donné lieu à une pétition contre elle, qui a recueilli plus de 2 millions de signatures.
Initiée par une étudiante, cette pétition a reçu le soutien de diverses associations dont l’une d’elles, Cancer Colère, entend faire écho au « tsunami » de cancers qui touchent de plus en plus les femmes, et de plus en plus jeunes.
Pourtant, si l’intention est juste, il importe de comprendre ce qui s’est joué ici, car l’éléphant a accouché d’une souris.
Hélas, la colère ne résout pas tout
Il existe en effet un lien évident, pour les militants opposés à cette loi, entre la multiplication des cancers dans la population générale et l’emploi des pesticides.
Si la colère est justifiée, la réaction reste épidermique :
1/ La « montée » des cancers est entre autres due aux pesticides, mais aussi, plus largement, à une artificialisation du mode de vie, et les raisons psychologiques, comme la perte du lien social, n’y sont pas non plus étrangères.
2/ La cancérogénicité en question dans cette loi touche plutôt le monde rural qui est directement exposé aux intrants. Et une partie du monde rural, pour des raisons économiques, a soutenu cette loi.
3/ Les réformes nécessaires pour une agriculture plus saine, avec des rendements suffisants pour nourrir la population, sont rejetées au nom d’une vision utopiste qui, par son simplisme, sert les intérêts du pouvoir.
Rappelons toutefois que l’expression « un tsunami de cancers » a été forgée par le directeur de l’institut Gustave Roussy, l’hôpital de pointe dans la recherche contre le cancer.
Et pour faire face à ce raz-de-marée, le mouvement contre la loi Duplomb se trouve porté par une pasionaria martyre dont la simple vue ne manque pas d’émouvoir.
Car la directrice de l’association Cancer Colère, Fleur Breteau, en est à son second cancer du sein. Elle apparaît en public le crâne rasé, ses cheveux étant tombés à cause de ses traitements de radiothérapie[1].
Quand un ministre surjoue l’autorité
Il faut dire que la colère populaire ne s’est pas seulement incarnée dans cette figure.
D’après le ministère de l’Intérieur, neuf des parlementaires parmi ceux qui ont porté la loi et l’ont déjà faite voter, auraient été visés par des menaces, en plus des insultes avérées[2].
Cependant, l’absence de dépôt de plainte laisse à penser qu’il n’est pas impossible que le gouvernement ait beaucoup exagéré la chose.
Surtout de la part du garde des sceaux Gérald Darmanin, dont les colères opportunes n’arrivent plus à nous détourner du ras-le-bol populaire.
D’ailleurs, la pétition ayant dépassé le seuil du demi-million de signatures, le sujet sera redébattu à l’Assemblée nationale comme le préconisent les textes ; mais la loi est déjà votée, et il faudrait un autre texte pour l’abroger.
Ce débat ne coûte donc pas grand-chose à la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet. Elle y gagnerait même, à vouloir passer pour plus impartiale qu’elle n’est.
La sempiternelle fabrique du buzz
Je vous dirais ce que j’en pense, et pardonnez-moi si vous me trouvez trop radical.
Je trouve que dans cette histoire, l’écosystème, c’est-à-dire le socle naturel de notre pays, y perd énormément – et nous avec.
Mais le petit monde politique français se frotte les mains. Chacun a remporté son petit succès :
- Les grands exploitants agricoles ont remporté une victoire financière.
- Les Républicains, qui ont porté leurs revendications, ont prouvé qu’ils pesaient encore politiquement en montrant qu’ils soutenaient l’activité économique.
- Les écologistes ont connu leur heure de gloire avec près d’un million et demie de sympathisants potentiels.
- La gauche, qui leur tient lieu en général de suzerain, s’est grandie en les soutenant.
- Et la Macronie sait qu’elle pourra rallier tout ce petit monde dès qu’elle décrètera le cordon sanitaire contre le populisme.
Il n’en reste pas moins qu’il y aura toujours plus de « fermes de mille vaches », de bassines qui s’évaporeront, de néonicotinoïdes qui continueront à tuer les abeilles. Et le « tsunami de cancers » continuera de submerger les Français.
Alors, il est où l’essentiel ?
Louis Volta