Chère lectrice, cher lecteur,
Cela fait un demi-siècle que les partisans du libre-échange nous assurent qu’ouvrir nos pays aux quatre vents nous rendra nécessairement plus riches.
50 ans que nous n’arrêtons pas de perdre en pouvoir d’achat – et désormais, notre pays est tiers-mondisé sur tous les plans, notamment ceux qui relèvent des services publics les plus essentiels (hôpitaux, armée…)
Pourquoi ? Parce qu’il est impossible d’être en concurrence avec le monde entier lorsqu’on a d’un côté l’euro, toujours trop fort, et de l’autre les acquis sociaux et l’imposante administration française.
Surtout lorsque nos dirigeants, qui ont conclu tant d’accords commerciaux avec la République populaire de Chine, ont laissé ce pays nous concurrencer sans frein, et sans que les Français en tirent le moindre profit.
Année après année, nous voyons que la RPC a rattrapé son retard technologique, que nous achetons sans arrêt ses produits, mais qu’elle n’achète guère les nôtres (hormis quelques sacs de luxe…).
Dommage pour les Chinois : cela n’empêche pas leur gouvernement de presser sa population jusqu’à ce qu’elle n’en puisse plus, afin d’écraser définitivement toute concurrence occidentale.
De ceci, la marque de vêtements Shein est devenu le symbole (avec son équivalent pour les babioles, la marque Temu). Jusqu’à ce que le scandale de ces derniers jours éclate.
La pétition « va vers les 100 000 signatures »
Certes, il est des pétitions politiques qui rassemblent beaucoup plus. Mais dans le monde de la mode, où règne d’ordinaire le chacun pour soi, c’est un évènement.
Près de 80 000 personnes ont donc signé la pétition contre l’installation de Shein, la marque chinoise, dans l’enceinte du très prestigieux BHV[1].
Il se trouve que le nom complet du BHV est le Bazar de l’Hôtel de Ville. Il s’agit de l’un des Grands Magasins de Paris (avec la Samaritaine, les Galeries Lafayette, le Printemps et le Bon Marché).
Depuis la fin du XIXe siècle, comme l’avait conté Émile Zola dans son roman Au bonheur des dames, ces magasins de très grande taille donnent le « la » de la mode parisienne. Ils jouent donc un rôle important pour la mode française, et par conséquent pour la mode mondiale.
En quelques mots : les Grands-Magasins sont des institutions. Et parmi eux, le BHV, situé tout proche de la Mairie de Paris, est tout à fait emblématique.
Cependant, cette pétition, comme le récent rachat du BHV, est symptomatique d’un moment de faiblesse de l’économie et de la mode françaises, qui ne laisse pas d’inquiéter ce qui reste d’acteurs économiques capables de proposer ou d’acheter des produits de qualité.
En installant Shein au BHV, c’est le grand relâchement symbolique, qui précède peut-être l’effondrement réel de l’économie française.
La fronde des créateurs français (mais pas qu’eux)
Pour avoir été quelques fois client de cette enseigne par le passé, j’ai été assez étonné, depuis la fin de la pandémie, de voir que le choix était devenu particulièrement restreint, surtout au niveau des tailles de vêtements.
Cela ne me paraît pas être bon signe.
En effet, quand certains magasins décident de ne tabler que sur les tailles moyennes et petites, c’est qu’ils visent en premier lieu le public moyen. Et qui vise le public moyen propose par conséquent un achalandage moyen avec une qualité moyenne.
Pour un magasin qui prétend être le phare de l’élégance, c’était donc de mauvais augure.
Mais ce qui l’est encore beaucoup plus est qu’à l’arrivée de Shein, nombre d’enseignes ont décidé de quitter le grand magasin – et pas seulement Mariage Frères, qui est français, mais aussi Swarovski, Farrow and Ball ou American Vintage[2].
Tout simplement parce que l’exploitation que fait subir Shein est intolérable.
Quand Germinal rencontre Au bonheur des dames
Bien sûr, les enseignes qui quittent le navire parlent d’un concurrent qui va à l’encontre des « engagements de la mairie de Paris sur l’écologie ».
Ce qui fait rire jaune les Parisiens, qui ont dû souffrir 8,6 milliards de déficit supplémentaire sous les mandatures d’Anne Hidalgo[3] pour se payer de mots… et voir la mairie du IVe arrondissement, toute proche du BHV, transformée en « Académie du Climat »…
Mais cette rhétorique n’est pas si ridicule, dans la mesure où, pour la bourgeoisie parisienne, le changement climatique reste plus scandaleux que l’exploitation des travailleurs !
Hélas, le problème est avant tout social, même si le mot est devenu ringard.
Car chez Shein, on travaille aux pièces, ce qui signifie que vous n’êtes payé que pour ce que vous produisez. Pas de protection sociale, pas de retraite, pas d’assurance chômage, pas de protection en cas d’accident…
Et pour gagner un salaire correct, il faut produire énormément, travailler au moins 11 heures par jour, 6 jours sur 7, sans contrat, rester dormir souvent à l’usine, avec vos enfants qui se promènent au milieu des machines…
Sans compter les rapports de force dignes de l’exploitation ouvrière du XIXe siècle : brutalité verbale, chantage sexuel…[4]
La Chine, un bouc-émissaire facile ?
Vous avez peut-être entendu parler du terme fast fashion (« mode rapide »).
Il désigne la production essentiellement asiatique de vêtements de très faible qualité, faits pour être portés quelques fois avant d’être jetés.
Shein est devenu depuis quelques années le symbole même de la fast fashion, symptomatique de l’état où la mode est arrivée aujourd’hui. Sans caractère mais continuellement changeante – et surtout, affreusement hypocrite en ce qui concerne les droits sociaux et l’écologie.
Il m’était déjà arrivé d’acheter chez Shein, avant de connaître leur politique sociale, car ils proposent toutes les tailles. Une diversité de l’offre dont ne s’embarrassent plus la plupart des marques occidentales.
Pour ces dernières, même un XXL est un « risque économique »… Si vous êtes trop grand ou trop large d’épaule eh bien… achetez du sur mesure !
Et je dois vous le concéder, je ne m’étais jusqu’alors pas trop inquiété de la politique sociale de Shein, car les vêtements que je leur avais achetés ont bien duré plusieurs années. Ce qui prouve qu’ils ne fabriquent pas que de la qualité infâme.
Donc, plutôt que de m’en prendre uniquement à la Chine, il s’agit aussi de remettre les pendules à l’heure.
De la mode éthique, vous n’y pensez pas !
Si Shein propose de la fast fashion, c’est parce que les Occidentaux (et les Occidentales) en raffolent.
Parce que c’est facile d’avoir des discours féministes, écologistes, et pourquoi pas même révolutionnaires, quand on achète des vêtements destinés à durer deux ou trois mois à peine…
Pour ma part, j’en reste au principe très masculin qui consiste à acheter des vêtements assez solides pour être recousus et des chaussures assez robustes pour être ressemelées.
Et je connais bien des amies à moi qui apprécient de faire un peu de couture et de concevoir leurs propres habits.
Ce qui leur donne une originalité que vous ne trouverez nulle part ailleurs. Mais c’est vrai que ça leur laisse moins de temps pour faire les boutiques le samedi !
Pourtant, pour bien des gens, penser ainsi, c’est « penser comme des vieux ». Mais les « vieux » (comme ils disent) n’ont pas besoin de se proclamer écologistes et « solidaires » : ils le sont.
Dites-moi ce que vous en pensez, j’ai hâte de vous lire.
Louis Volta